Women in Pants

Case Study 2: Gender

By Nejma Omari, translated by Adriënne Ummels, University Paul-Valéry Montpellier

Saviez-vous qu’en France, les Parisiennes ne sont légalement autorisées à porter un pantalon que depuis 2013 ? En effet, l’ordonnance établie par la préfecture de police de Paris en 1800, officiellement abrogée il y a cinq ans seulement, interdit aux femmes de revêtir l’habit masculin sans une autorisation spéciale. Le pantalon, véritable symbole de cette masculinité depuis le tournant du XVIIIe et du XIXe siècle, est le marqueur du genre le plus important pour l’histoire occidentale des deux derniers siècles. Alors que plusieurs ouvrages, tels que ceux de Christine Bard, Laurence Benaïm ou encore Laure Murat, abordent la question du port du pantalon par les femmes au travers de figures et d’épisodes emblématiques de cette lutte, une investigation dans la presse historique numérisée des années 1850-1945 fait émerger des pratiques et des phénomènes de la vie quotidienne des Françaises qui participent également de la normalisation du costume masculin. Anecdotes boulevardières, chroniques badines, enquêtes : les articles de journaux consultés via le moteur de recherche Gallica développé par la BNF et celui de sa filiale commerciale Retronews nous permettent de constater le rôle de la pratique sportive, de la mode, du tourisme ou encore du travail dans l’acceptation du pantalon féminin. Si cet article se propose de traiter la thématique du pantalon féminin en observant ses usages ordinaires, nous nous proposons dans un prochain billet d’examiner cette question sous un angle idéologique et politique.

Une première recherche par fréquence (fonctionnalité payante sur la plateforme Retronews) avec les mots « femmes » et « pantalon » produit 123 522 occurrences. Toutefois, ces résultats portant sur l’unité de la page, certains ne concernent en rien le port du pantalon par les femmes. En effet, il n’est pas possible avec cet outil de circonscrire la recherche aux cas où ces substantifs se situent dans le même environnement cotextuel, sans être immédiatement voisins (seule la recherche d’expressions exactes est permise grâce à l’usage de guillemets). Malgré la marge d’erreur, d’autres analyses incluant un lexique plus spécifique confirment les moments-clés de la polémique. Après un premier pic à la Belle Époque, le débat connaît une seconde acmé dans les années 1930. Nous vous proposons d’examiner ensemble quelques pratiques qui ont marqué ces temps forts.

Les françaises font les zouaves à bicyclette

Dans les années 1890, la bicyclette, devenue plus accessible et confortable, se démocratise et devient un moyen de locomotion très prisé par les Françaises. Cet engouement féminin pour la pratique du cyclisme, objet de nombreuses polémiques, se traduit par l’émergence d’un lexique spécialisé ainsi que de nouveaux codes vestimentaires. Parmi ces termes spécifiques, nous pouvons par exemple constater l’apparition puis l’utilisation durant la décennie 1890 du mot : « cyclewomen » (graphique ci-dessous, courbe rouge), faux anglicisme composé de « cycle » (« bicyclette ») et de l’anglais women (« femmes »).

L’association de ce terme avec les mots « pantalon » puis « jupe », qui produisent un nombre de résultats similaire, met au jour une problématique vestimentaire. En effet, s’il est clair que la jupe n’est pas adaptée pour la pratique sportive, le pantalon collant est quant à lui exclu pour des raisons de pudeur. Du point de vue du goût, certaines chroniqueuses de mode recommandent tout de même le port de la culotte moulante, mais seulement sous certaines conditions : 

Mesdames, si vous êtes bien faites, ne craignez pas de « pédaler » en culotte. Dans le cas contraire… ne pédalez pas du tout… à moins cependant que vous ne teniez aucun compte de la galerie. (Winnie, « Courrier de la mode et chronique féminine », L’Univers Illustré, 19 octobre 1895)

Finalement, en 1895, l’engouement ascensionnel de tous les mondes parisiens pour la « bécane perfectionnée » fait naître de fashionables innovations, notamment l’idée d’un « pantalon bouffant » qui rappelle celui de l’uniforme porté par les zouaves et les tirailleurs algériens. 

Tout à coup enthousiasmé par la suavité d’une cyclewoman au pantalon extra-bouffant, un passant à l’accent fortement teutonique constate ladite suavité par cette exclamation plus exacte qu’il ne le pensait certainement.   - Oh ! cette femme zouave ! (Schepers, n °206, Le Pêle-mêle, 7 mars 1896)

À gauche, Le Petit Journal. Supplément illustré, 7 mars 1891, « Une » représentant l’armée coloniale française avec, au centre, un tirailleur algérien (Source : Gallica, BNF). À droite une pédaleuse en pantalon bouffant, debout puis chevauchant sa bicyclette (Le Figaro, 25/02/1996, p.4).

Il est certain qu’il existe […] des points d’analogie entre le zouave et la petite pédaleuse : l’un et l’autre font de graves blessures à l’ennemi. Seulement l’une tire les flèches empoisonnées empruntées au carquois de Cupidon, tandis que l’autre fait usage de la vulgaire balle Lebel. (La Lanterne, 7 septembre 1895, p.3)

Cette tenue extravagante qui donne aux cyclewomen une physionomie toute particulière relance le débat sur le costume féminin. Le 26 août 1895, Le Gaulois ouvre une « enquête universelle » visant à répondre à la question suivante : « [l]equel de ces deux vêtements, la jupe ou le pantalon, est le meilleur, au triple point de vue de la beauté, de l’hygiène et de la correction » ? Des personnalités féminines, notamment « celles dont le public connaît déjà l’autorité en matière d’art et de goût » allèguent tour à tour leurs arguments : alors que Sarah Bernhardt plaide pour « la robe longue », Séverine trouve les « pantalons de zou-zou » des bicyclettistes « franchement laid[s] ». « Brutal, souvent ridicule » pour Mlle Brandès (26 août 1895), le pantalon bouffant est « grotesque » pour Mme Adam (27 août 1895) et tout à fait « abominable » pour Mme Bréval (1 septembre 1895). Voilà de quoi habiller pour l’hiver nos pédaleuses de l’amour ! 

Cette enquête, fort instructive quant aux opinions des figures du temps, est cependant difficile à trouver dans la pléthore de résultats concernant la recherche « femmes et pantalon ». Les outils développés par The Newseye pourraient permettre de faire émerger prioritairement cette investigation, mais aussi la réaction du préfet de police, M. Lépine, qui décide de mettre à l’étude un projet d’arrêté en août 1895 (« Échos de Paris », Le Gaulois, 11 août 1895, p. 1). En effet, le préfet constatant la recrudescence de bicyclettistes « pour de rire » vêtues de ces culottes à la zouave alors même qu’elles ne possèdent pas de bicyclette, souhaiterait interdire le port du pantalon bouffant en dehors du temps de la promenade. Gare aux cyclewomen qui se baladeraient « veuves de leur machine » ! 

Si déplaisant soit-il pour certains, et particulièrement pour les « culottophobes » d’outre manche qui le trouvent « shocking au dernier degré » et n’hésitent pas à huer ces « femmes-zouaves » (Les Annales politiques et littéraires, 12 septembre 1897, p. 8), le pantalon bouffant inspire un nouveau vêtement, à mi-chemin entre jupe et pantalon : la jupe-culotte.

Souvent attribuée au couturier Paul Poirier qui la popularise en 1911, la jupe-culotte est en fait inventée par la maison Sandt et Laborde, puis brevetée sous le nom de jupe-pantalon par Henri Petit. L’image de la pédaleuse en jupe-culotte devient virale et circule de L’Écho de Paris (21/03/1896) au Journal (13/03/1897), en passant par les colonnes du Figaro (26/01/1896).

En définitive, comme le déclare Francisque Sarcey dans sa rubrique « Notes de la semaine » intitulée « Jupon ou culotte » : « [l]a bicyclette, qui rend presque nécessaire le port de la culotte et de la veste, n’a fait qu’accélérer, précipiter, une modification de costume qui se serait plus lentement faite, qui aurait soulevé plus de résistance » (Les Annales politiques et littéraires, 19 septembre 1897, p. 3). Ainsi, les innovations industrielles mais aussi la pratique du sport, dont le cyclisme n’est qu’un exemple, participent activement de cette lente acceptation du pantalon féminin. Timidement lancée à la fin du XIXe siècle, la jupe-culotte explose au XXe siècle tout comme les pantalons norvégiens et knickers qui habillent les femmes aux sports d’hiver. Le développement des loisirs et du tourisme jouent également un rôle déterminant dans ce processus, comme le démontrent les nombreuses illustrations consultables sur Gallica.

Les françaises vont à la plage en pantalon… de pyjama

Si le costume masculin est interdit aux femmes dans la sphère publique sous peine d’une arrestation, qu’en est-il du pantalon de pyjama, habituellement destiné à un usage d’intérieur ? Une première analyse de fréquence avec les termes « pantalon » et « pyjama » montre un intérêt particulier pour ce vêtement au milieu des années 1930. Il y a bien un premier petit pic en 1905, mais celui-ci coïncide en fait avec la représentation de la comédie en un acte de Jules Rateau intitulée Le Pyjama. L’année 1933, qui enregistre un nombre record de résultats associant ces deux termes, est aussi celle où l’actrice Marlène Dietrich légitime le pantalon à Hollywood en adoptant le smoking. L‘influence de la star-garçonne est mondiale et se répercute largement sur le choix des vêtements de nuit : « Le pyjama a […] un regain d’actualité, grâce à la préférence de Marlène et quelques stars pour le costume masculin ». (Colette d’Avrily, Les Modes, 1 août 1933, p. 18). Il serait intéressant pour le chercheur de se voir suggérer ces articles et plus généralement ceux concernant les figures majeures qui inspirent le quotidien des femmes.

Avant l’actrice hollywoodienne, c’est la célèbre créatrice de mode Coco Chanel qui popularise le pyjama et propose de le porter sur les plages et lors de soirées estivales. Bien loin des vêtements commodes dont on s’affuble pour dormir, les élégants pyjamas de plage font sensation et conquièrent les suffrages des Françaises. Il y en a même certaines qui n’hésitent pas à payer très cher ce « must have » de l’été : une raison supplémentaire de bien surveiller sa valise ! 

On a volé… Des robes et des pyjamas de plage. Mlle Marcelle Peltier, domiciliée à Paris, 117, boulevard Masséna, a porté plainte contre inconnu pour vol de sa valise contenant des robes et des pyjamas de plage d’une valeur globale de 4.000 francs, soustraite pendant qu’elle s’était arrêtée dans un café de l’avenue Janvier. (L’Ouest-Eclair, Rennes, 14 août 1939, p.7)

Le succès de ce vêtement nouveau tient également au fait qu’il se présente comme un compromis entre vêtement féminin et habit d’homme, une sorte de troisième sexe susceptible de contenter tout le monde : 

Je vous avais annoncé récemment la création d’un troisième sexe, en matière de mode, bien entendu. Ce troisième sexe nous allons en parler un peu aujourd’hui : c’est le pyjama de plage. C’est un troisième sexe parce que, lorsqu’une femme a revêtu un pyjama de plage, elle n’a plus tout à fait l’air d’une femme, mais elle n’a pas encore tout à fait l’air d’être un garçon. Tout le monde y trouve son compte en ce sens que le côté garçon du pyjama, c’est-à-dire sa coupe nette et simple, assure un sentiment de décence et de confort, cependant que le côté fille, c’est-à-dire la qualité du tissu, ses jolis dessins, ses gais coloris, donne un air de grâce et de coquetterie nécessaire à toute toilette féminine. (Séraph, « Les Pyjamas de plage », La Femme en France, 29 juin 1930, p. 13)

Malgré cette part de féminité, certaines lui préfèrent la coquette robe de plage ou encore le « pyjama-jupe », invention de 1933 qui donne à la marche une allure gracieuse. Finalement, le combat jupe-pantalon se transpose sur les plages, de Deauville à Biarritz, avec la rivalité du pyjama et de la robe : « [l]a lutte s’annonce sévère. Deux ennemis s’affrontent ; qui des deux sortira vainqueur une fois de plus ? La robe ou le pyjama ? » (Gisèle de Biezville, « Robes de plages ou pyjamas », L’Intransigeant, 24 mai 1933, p.8). La recherche par fréquence de Retronews n’étant disponible que par année, nous ne pouvons pas réaliser un graphique qui détaillerait les occurrences selon les mois. Cette fonctionnalité aurait pu nous permettre de constater que la thématique pyjama-robe de plage constitue un véritable marronnier qui se répète chaque année avant la période estivale durant la décennie 1930.

Si ces questions paraissent frivoles, il n’en demeure pas moins qu’elles contribuent à faire entrer le pantalon masculin, sous des formes diverses, dans la garde robe des femmes. Concours du plus beau pyjama de plage ou encore défilés de mode : de nombreux événements proposent de mettre en lumière la femme pantalonnée sans pour autant que cela constitue un acte de transgression ou une revendication féministe. 

Il arrive également que des manifestations contestataires, comme « la journée de la salopette » lancée par Comœdia pour lutter contre la hausse du prix des vêtements, rassemblent hommes, femmes « et même toutous » (précise Le Petit Journal du 20 avril 1920), habillés du même costume masculin : « après avoir vaincu l’ennemi extérieur sous le bleu horizon, nous vaincrons l’ennemi intérieur, c’est-à-dire la hausse, sous le bleu salopette. Cette perspective nous permet de voir l’avenir en rose » (Le Gaulois, 14 juin 1920, p. 1). Notons que ce n’est pas la première fois que les femmes endossent la salopette puisque nombreuses sont celles qui remplacèrent les hommes dans les usines durant la Grande Guerre. 

Ainsi, après avoir longtemps crié haro sur le pantalon, ses détracteurs doivent bien admettre qu’il comporte de nombreux avantages : pratique, confortable et fermé, il permet aux femmes de pratiquer le sport, de travailler ou encore de voyager sans éprouver de gêne ou que cela ne porte atteinte à leur pudeur. 

Qui vous dit que dans cinquante ans d’ici, les femmes honnêtes, ne trouvant que ce moyen de se risquer seules dans la rue sans crainte d’être insultées par des goujats, ne s’habilleront pas toutes en hommes, costume plus commode que les robes, en somme, et leur permettant de se munir d’une canne ou d’un révolver préservateurs pour rentrer chez elle à sept heures du soir ? La chose est fort possible, après tout. Les hommes ayant abandonné la robe pour le pantalon, et s’en étant fort bien trouvés, qui vous dit que les femmes ne suivront pas cet exemple ? (A. Paulon, « À propos de l’affaire Montifaud-Magnard-Camescasse », Le Tintamarre, 24 septembre 1882)

Près de 140 ans après, force est de constater que la projection de M. Paulon était fausse : vous arrive-t-il souvent de rencontrer dans la rue une femme munie d’une canne de défense ou d’un révolver ?